Rien que le titre est parlant. Enfin, surtout pour les Valaisans. Barrage, ça évoque la Grand Dixence, Mattmark, Mauvoisin, Emosson et tant d’autres. C’est aussi l’épopée des barrages, dans les années 1960, qui a vu l’érection de ces imposants murs de retenue au fond de certaines vallées valaisannes. Des chantiers élevés au rang d’épopée suite à certains épisodes dramatiques comme la tragédie de Mattmark lorsqu’une partie du glacier de l’Allalin s’est effondré sur le chantier en 1965, causant la mort de 88 ouvriers. Une aventure à la fois grandiose et tragique, chantée par les compositeurs et les poètes valaisans. Bref, vous l’aurez compris, difficile de laisser un Valaisan insensible à un tel jeu.
La question est de savoir si le ramage est à la hauteur du plumage. Car la promesse est bien dans le titre. Et des jeux d’eau, il en 3existe de nombreux. Certains plutôt réussi, à l’image de Ur 1830, d’autres un peu moins comme Dos Rios. Mais revenons à notre sujet. Déjà la boîte est particulièrement imposante et laisse augurer d’un monstre. Surtout lorsque l’on nous dit d’accoler deux tables pour former un grand carré ; « oui, ça prend un peu de place ». Et de fait, une fois tout sorti de la boîte, il fallait bien ces deux tables pour y placer plateau, cartes, pions et autres marqueurs.
Très grosse boîte
Je ne vous cache pas que tout ça m’a fait un peu peur. Dans quoi me suis-je lancé, encore un de ces jeux qui dure des plombes et qui te triture les méninges jusqu’au mal de crâne. Eh ! Bien, pas du tout. Enfin, pour être précis, pas vraiment. Les règles sont un peu longues, il faut compter une petite demi-heure d’explication par quelqu’un qui a déjà joué. C’est tout à fait digeste. Surtout que l’on est sur un modèle connu : pose d’ouvrier, une action par tour. Le constat au terme de la partie et qu’il n’y a pratiquement pas eu besoin de repréciser un point de règle ou un autre en cours de partie. L’ensemble s’assimile rapidement.
Donc en résumé il y a une phase de début de tour durant laquelle chacun perçoit ses revenus. Puis une phase d’action, chaque joueur n’en exécute qu’une seule en posant le nombre voulu d’ouvriers sur l’emplacement adéquat. Oui, bien entendu, il arrive (parfois, souvent même) que l’on veuille tous faire la même action et qu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde. Mais c’est bien le moteur du jeu. Lorsque l’on a épuisé ses 12 ouvriers, on passe en attendant que chacun ait fait de même. Et à la fin du tour, une phase commune durant laquelle l’eau coule de la source vers l’aval.
Ça turbine
Et bien entendu elle va rester bloquée par les barrages (oui, c’est assez étonnant), en quantité plus ou moins importante selon la hauteur du barrage, permettant de turbiner cette eau lors d’une prochaine phase d’action, si l’on a construit une turbine et une usine bien entendu. Et, vous l’aurez compris, chacun voudra turbiner à son tour. Mais on ne pourra pas tous le faire aux mêmes conditions. Le premier arrivé aura les meilleures conditions qui vont se dégrader pour les suivant. Et il n’y a place que pour 10 actions de turbinage pour le tour.
Je vous entends déjà ! « Mais alors, le premier joueur est vachement avantagé ». C’est vrai. En partie du moins, car le premier joueur est celui qui aura le moins turbiné au tour précédent. Il aura donc réalisé moins de gain, tant financier qu’en termes de points de victoire. D’un autre côté, avant de turbiner, il faut avoir construit au moins une usine et une turbine reliées entre elles. Et construire des barrages n’est de loin pas sans intérêt. Sans oublier que les sources ne déversent pas toutes de l’eau au même moment. Ceci pour vous donner un aperçu du nombre de paramètres à prendre en considération.
Sous tension
En fait, la difficulté réelle du jeu est … d’y jouer. Car une fois les règles assimilées, il s’agit d’entrer dans la partie. Et là, les choses se corsent un peu tant il est malaisé d’appréhender au premier coup d’œil la stratégie à suivre. On aimerait bien sûr tout faire, sans en avoir les moyens. De surcroît, il est un peu compliqué de prévoir à l’avance son prochain coup, car lorsque vient son tour, la situation a souvent bien évolué par rapport au tour précédent.
Au final, j’ai eu dans ce jeu un peu les mêmes sensations éprouvées dans Russian Railroad ou aussi dans Great Western. Non que les jeux se ressemblent, mais il existe dans chacun une tension un peu similaire avec cette difficulté à préparer son prochain coup tant la situation évolue d’un tour à l’autre et oblige parfois à effectuer une action avec un bénéfice moindre pour éviter de ne pas pouvoir l’effectuer du tout.
Barrage, de Tomaso Battista et Simone Luciani, édité par Cranio Creation, 2 à 4 joueurs, compter 120 minutes la partie à 4, et 30 minutes de lecture des règles.